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CHAMBRE DES APPELS DE LA COMMISSION CENTRALE POUR LA NAVIGATION DU RHIN
ARRÊT
du 15.06.1977
(rendu en appel d’un jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 15 juin 1977 - 3 C 587/75 -)
EXPOSE DES FAITS:
Le 2 avril 1974 un abordage s’est produit sur le Rhin entre l’automoteur „E76“ et la péniche „L“.
L’„E76“ est un automoteur d’un port en lourd de 897.37 t. Son propriétaire, respectivement armateur est la Société REEDEREI A.G., le capitaine „H“, le pilote „F“.
Le „L“ est une péniche d’un port en lourd de 280 t. Le propriétaire, respectivement armateur est „P“, le conducteur „D“.
Dans la matinée du 2 avril 1974 l’„E76“, chargé de 702 t de gravillons, naviguait sur le Rhin à la descente, venant de l’écluse de Strasbourg-Sud et se dirigeant vers Dordrecht.
L’„E76“ était suivi par le OFFEN II, puis par deux péniches de canal, l’„O“ d’abord et le „L“ ensuite, qui sont toutes deux sorties de l’écluse nord de Strasbourg pour descendre le Rhin en direction de Karlsruhe.
A un certain moment, à hauteur de Leutenheira vers le p.k. 300 des nuées de brouillard apparurent, brouillard qui est rapidement de venu très dense réduisant la visibilité à moins de 50 mètres.
L’„E76“ a décidé de virer sur bâbord en vue de s’immobiliser cap vers l’amont. Au cours de cette manoeuvre de virage la poupe de l’„E76“ a heurté un épi de la rive droite, occasionnant une avarie du gouvernail en l’occurrence la perte du gouvernail tribord et la déformation du gouvernail central.
L’„O“ de son côté a viré sur bâbord, en raison du brouillard, pour s’immobiliser, cap vers l’amont, du côté de la rive gauche.
Dans la nappe de brouillard un abordage a eu lieu entre l’arrière de l’„O“ et l’avant de l’„E76“ et les deux bateaux ont subi un dommage.
Après l’abordage avec „O“, l’„E76“ a exécuté encore plusieurs manoeuvres pour se retrouver à l’arrêt du p.k. 301.200 au milieu du chenal navigable.
Le matelot „F“ de l’„E76“ signalait l’approche du „L“ qui présentait le pavillon bleu de croisement et donnait le signal annonçant le croisement tribord sur tribord.
Pour éviter un abordage frontal, l’„E76“ a entrepris une manoeuvre d’évitement vers bâbord, en lançant les moteurs à toute allure "en avant toute".
Malgré cette manoeuvre les deux bâtiments se sont légèrement frottés tribord sur tribord. Le „L“ n’a subi aucun dommage mais l’„E76“, à la suite de sa manoeuvre s’est finalement échoué sur le fond et les épis situés sur la rive droite, subissant des dommages assez importants.
Par acte introductif d’instance du 17.4.75, 1a Sté REEDEREI A.G. a cité le propriétaire et le conducteur du „L“ à comparaître devant le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg en demandant qu’il plaise au Tribunal de condamner les défendeurs solidairement, subsidiairement in solidum, à payer la somme de 12.838,21 DM avec 6 % d’intérêts à dater du jour de l’assignation, subsidiairement convertie en francs français au cours du jour du paiement; de prononcer la capitalisation annuelle des intérêts; de dire que le ou les armateurs défendeurs ne seront tenus de payer le montant de la condamnation que jusqu’à concurrence de la valeur, au jour de l’accident, du bateau „L“ et de son fret; de condamner les défendeurs solidairement et subsidiaire ment in solidum en tous les frais et dépens de l’instance et des procédures de conservation de preuves ; déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision, sans caution, si besoin moyennant caution.
La demanderesse-appelante, intimée sur appel incident estime que l’abordage a été exclusivement causé par les fautes graves nautiques du conducteur du „L“ qui a omis de s’arrêter en temps utile, a pénétré dans la nappe de brouillard, et a navigué sans poster de vigie ni émettre des signaux.
Les défendeurs-intimés, appelants sur appel incident résistent à la demande en prétendant que l’abordage a été causé uniquement par la faute grave de l’„E76“ qui naviguait vers l’amont en état de non navigabilité, ayant perdu un gouvernail peu de temps auparavant tandis qu’il était impossible pour le „L“ de s’arrêter, les rives étant déjà occupées par d’autres bateaux immobilisés par le brouillard.
Il demande au tribunal de déclarer la demanderesse mal fondée en sa demande, de l’en débouter et de la condamner en tous les frais et dépens.
Dans son jugement du 15.6.77 le Tribunal pour la Navigation du Rhin déclare les défendeurs responsables dans la proportion 1/5 des dommages subis par l’„E76“ condamne en conséquence M. „P“ „P“ et M. „D“ „D“ in solidum, à payer à la Société REEDEREI A.G. la somme de 2.567 DM avec les intérêts légaux à compter de ce jour, cette somme convertie en francs français à la date de ce jour; dit que l’armateur, M. „P“ „P“, ne sera tenta de payer le dit montant que jusqu’à concurrence de la valeur, au jour de l’accident, du bateau „L“ et de son fret; condamne M. „P“ „P“, et M. „D“ „D“ aux frais et dépens de la procédure dans la proportion 1/5 et les autres 4/5 des frais étant mis à la charge de la Sté REEDEREI déclare le jugement exécutoire par provision contre consignation d’un montant égal à celui pour lequel l’exécution sera poursuivie; déboute la Sté REEDEREI du surplus de sa demande.
Les motifs du premier juge peuvent être résumés comme suit:
- en poursuivant sa progression malgré le brouillard, le „L“ a indéniablement surpris l’„E76“ et se trouve donc bien être à l’origine de la manoeuvre d’évitement que le conducteur de l’„E76“ a cru devoir entreprendre pour éviter un abordage frontal avec le „L“.
- L’„E76“, au lieu de rester au mouillage près de la rive alsacienne, a entrepris une progression intempestive vers l’amont, s’est trouvé à l’arrêt cap à l’amont, ancré d’une manière non réglementaire au milieu du chenal navigable, occupant ainsi une position anormale; une telle position est contraire à l’obligation générale de dégager le chenal lorsqu’un bateau devient incapable de manoeuvrer (article 1.18)OU par temps bouché(article 6.30) et constitue en tous cas un danger pour la navigation.
Eu égard à la gravité respective des fautes nautiques commises en relation avec la survenance de l’échouage de l’„E76“, la responsabilité pour l’abordage doit être partagée en mettant 1/5 de la responsabilité à la charge des défendeurs et 4/5 à la charge de la demanderesse.
Contre ce jugement la demanderesse-appelante, intimée sur appel incident, a interjeté appel par acte du 6.9.77 devant la Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin et elle a motivé cet appel dans le mémoire ampliatif du 12.10.77.
Elle demande qu’il plaise à la Commission Centrale d’infirmer le jugement dont appel, d’adjuger à l’exposant les conclusions prises en première instance et toutes celles qu’elle croit devoir y ajouter en appel et de condamner les défendeurs-intimés, appelants sur appel incident en tous les frais et dépens.
Quant à la recevabilité elle prétend que l’appel n’est pas tardif parce que la notification du jugement n’a pas été faite suivant les formes adoptées en France (Article 37 alinéa 2 de la Convention de Mannheim).
Quant au fond elle reprend ses arguments développés devant le premier juge.
Dans le mémoire en réponse les défendeurs-intimés, appelants sur appel incident demandent à la Commission Centrale de réformer le jugement en ce sens que l’action de la REEDEREI est à rejeter purement et simplement. Ils reprennent les arguments développés devant le premier juge.
EXPOSE DES MOTIFS:
A. En ce qui concerne l’appel principal:
1. L’appel est régulier en la forme.
Le jugement a été signifié à la Sté REEDEREI A.G. le 22.7.77 mais sans que la notification contienne une indication avisant le destinataire du délai et des modalités d’appel devant la Commission Centrale conformément à la Convention de Mannheim (article 37 alinéa 2)qui précise que la notification sera faite selon les formes adoptées dans chaque Etat.
L’article 680 du nouveau code de procédure civile précise que "l’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente, le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.
L’article 693 N.C.P.C. précise que cette formalité est édictée "à peine de nullité".
Or, l’acte de signification mentionne:
"Il vous est possible d’exercer un recours contre ce jugement, Vous avez la possibilité:
D’interjeter appel contre ce jugement, si vous entendez le faire réformer ou annuler soit devant la Cour d’Appel de COLMAR, soit devant la Commission supérieure de la "Navigation sur le Rhin à STRASBOURG.
L’APPEL DOIT ETRE INTERJETE DANS LE DELAI DE 3 MOIS A COMPTER DE LA DATE INDIQUEE EN TETE DU PRESENT ACTE."
L’acte de signification ne mentionnant pas le délai d’un mois prévu par l’article 37 § 2 de la Convention de Mannheim, la notification du 22.7.77 est donc nulle et n’a pas fait courir le délai d’appel de sorte que l’appel interjeté par acte du 6.9.77 est régulier.
2. La demanderesse-appelante, intimée sur appel incident reproche au „L“ d’avoir navigué sans vigie et sans émettre de signaux. Ces fautes ne sont pas prouvées par des témoignages impartiaux de sorte que le premier juge, de bon droit, n’a pas retenu de telle faute dans le chef du „L“.
D’autre part, il n’est pas contesté que le „L“ a poursuivi sa progression dans le brouillard, mais il résulte de plusieurs témoignages impartiaux et concordants qu’il y avait un bateau amarré sur la rive droit d’une part et quatre bateaux montants d’autre part tandis qu’il y avait des bancs de sable sur lesquels les bateaux risquaient de s’échouer. Ces circonstances rendaient une manoeuvre d’immobilisation sans danger impossible.
L’„E76“ était aussi entré dans la nappe de brouillard et, handicapé par la perte du gouvernail tribord et la déformation du gouvernail central et après un premier abordage avec l’„O“ il s’était trouvé à l’arrêt, ancré d’une manière non réglementaire, au milieu du chenal navigable, occupant ainsi une position anormale et contraire à l’obligation de dégager le chenal lorsqu’un bateau devient incapable de manoeuvrer par temps bouché et constitue en tous cas un danger pour la navigation, Dans ces circonstances le fait que le „L“ a poursuivi sa progression dans le brouillard comme l’„E76“ l’avait fait avant lui, ne peut pas être retenu dans son chef comme faute qui a causé un dommage subi par l’„E76“.
L’appel est donc non fondé.
B. En ce qui concerne l’appel incident:
Pour les mêmes motifs l’appel incident est fondé, Il est statué:
La Chambre des Appels déclare l’appel principal recevable mais non fondé et l’appel incident recevable et fondé.
Infirme le jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 15.6.1977 et déclare l’action entamée par acte introductif d’instance du 17.4.75 par la demanderesse-appelante, intimée sur appel incident, recevable et non fondée et l’en déboute.
Met à la charge de la demanderesse-appelante, intimée sur appel incident, les frais d’appel à liquider, conformément à l’article 39 de la Convention Révisée pour la Navigation du Rhin, par le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg.