Banque de données de juriprudence
Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin
Arrêt du 26 juillet 2001, 408 P - 4/01
I. Les faits et la procédure de première instance
R est propriétaire et conducteur de l’automoteur E. Le 16 décembre 1999 à 6 h 10, au p.k. 299, sur le territoire de la commune de Strasbourg, alors qu’il remontait le Rhin, son bateau fut croisé par celui de la brigade de gendarmerie fluviale de Strasbourg. Les gendarmes le contrôlèrent peu après, à son arrêt dans les écluses de Strasbourg-Neuhof. R leur indiqua qu’il effectuait un transport de potasse de Hanau (Allemagne) à Ottmarsheim (France) et qu’il avait passé la nuit à Gambsheim. Dans leur procès-verbal les gendarmes relevèrent ce qui suit :
- Naviguant en mode A 1, il n’aurait pas dû appareiller avant 6 heures. Or il avait quitté Gambsheim à 5 heures 30.
- La veille il était parti de Mannheim à 7 heures et s’était arrêté à Gambsheim à 21 heures 35 alors, qu’en mode A 1, il ne pouvait dépasser 14 heures de navigation.
- Les inscriptions au livre de bord étaient fausses puisqu’elles mentionnaient l’arrivée à Gambsheim à 21 heures et le départ à 6 heures.
- Le livret de service du timonier L ne comportait plus d’inscriptions depuis le 14 octobre 1999 et avait été visé par les autorités pour la dernière fois le 14 août 1998.
Le 24 janvier 2000 le Parquet de Strasbourg citait R à comparaître à l’audience du 29 mai 2000 du Tribunal pour la Navigation du Rhin à Strasbourg pour les infractions suivantes :
- livre de bord non dûment rempli,
- livre de service non dûment rempli,
- non-respect de la durée d’interruption de navigation de nuit d’un bâtiment non équipé de tachygraphe,
- non respect des périodes de repos de l’équipage.
Cette citation signifiée au Parquet de Strasbourg le 28 janvier 2000 a été reçue par Rle 8 février 2000.
Par lettre du 13 février 2000, reçue au Parquet de Strasbourg le 21 février 2000, R sollicitait la remise de son affaire en indiquant qu’il ne serait pas en Europe entre le 28 mai 2000 et le 11 juin 2000.
Il renouvela cette demande de remise par lettre du 27 mai 2000, reçue au Tribunal d’Instance le 29 mai 2000. Pour le cas où cette remise ne serait pas accordée, R présentait ses observations lesquelles, en ce qui concerne les infractions retenues, peuvent se résumer ainsi :
L’automoteur E est équipé d’un tachygraphe, mais il a été omis de mettre le disque.
Le départ de Gambsheim, dès 5 heures 30 était dû au trouble apporté au repos par d’autres bateaux à l’écluse. La navigation prit fin ce jour-là à 17heures à Ottmarsheim, soit une durée de trajet de 11 heures 30.
Dans le mode A1 il est presque impossible de déterminer les temps de repos car ils sont inclus dans le temps libre. Or les membres de l’équipage ne sont pas tenus de rester à bord et il n’est sûrement pas permis à un employeur de les surveiller en permanence. Au surplus l’inscription des temps de repos pourrait être utilisée comme alibi.
Le livre de service doit certes être visé mais un retard d’un mois, pour cette formalité, n’a qu’une importance secondaire. Un avertissement de la gendarmerie aurait suffi.
A l’audience du 29 mai 2000 le Tribunal a constaté que R, bien qu’ayant eu connaissance de la citation, ne comparaissait pas. Il a décidé de statuer par jugement contradictoire à signifier en application de l’article 410 du Code de Procédure pénale.
Le Tribunal a rappelé les infractions pour lesquelles R était cité, il a estimé les faits établis et exactement qualifiés, il a déclaré le prévenu coupable et l’a condamné à une amende de 3.000 FF ainsi qu’au remboursement des frais envers l’Etat.
Le 11 octobre 2000 ce jugement a été signifié au Parquet de Strasbourg.
Le 27 novembre 2000 la Trésorerie de Strasbourg a envoyé à R un avis à payer 3.054 FF.
Par lettre du 19 décembre 2001 enregistrée au Tribunal de la Navigation du Rhin de Strasbourg le 27 décembre 2001, Ra formé un recours en faisant valoir que jamais les motifs de sa condamnation ne lui ont été communiqués et que si le jugement devait néanmoins être considéré comme valable, il formait appel devant la Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin.
II. Sur la recevabilité de l'appel
Aux termes de l’article 37 alinéa 2 de la Convention de Mannheim, le délai de 30 jours pour former appel court à partir de la notification du jugement, légalement faite suivant les formes adoptées dans chaque Etat.
Selon l’article 40 de la Convention les jugements et autres décisions, les citations et exploit d’ajournement dans les causes pendantes devant les tribunaux pour la navigation du Rhin seront considérés, quant à la notification, dans chacun des Etats, comme émanant des autorités de cet Etat. Pour ce qui concerne les personnes ayant un domicile connu dans un des Etats riverains les citations et exploits dans ces causes seront notifiés à ce domicile.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles 498 et 562 du Code de Procédure pénale que le délai d’appel ne court qu’à compter de la remise de l’acte effectuée dans les conditions prévues par les conventions internationales.
Dans la présente affaire il n’est justifié d’aucune notification ni même tentative de notification du jugement à R et en conséquence le délai pour faire appel n’a pu courir contre lui.
D’autre part, la motivation est contenue dans l’acte d’appel lui-même de sorte que le délai de 30 jours, imposé par l’article 37 alinéa 3 de la Convention de Mannheim pour justifier le recours, est également respecté, qu’ainsi l’appel est recevable en la forme
III. Les positions des parties
A l’audience devant la Chambre des Appels, le prévenu a confirmé ne pas avoir reçu le jugement et ne pas connaître exactement les charges retenues qui ont abouti à l’établissement de l’avis de paiement à son encontre. Il estime que sa demande de remise était justifiée par un voyage en Amérique prévu de longue date et qu’il aurait, pour le moins, dû être avisé d’un refus par le Tribunal. Pour le cas où le jugement serait néanmoins considéré comme valable, il entend reprendre l’argumentation développé dans son écrit du 27 mai 2000.
Le Représentant du Ministère Public a soutenu que le Tribunal de la navigation était fondé à refuser une demande de remise de l’affaire basée sur un motif d’ordre privé.
Il n’exclut pas que le prévenu ait reçu communication du jugement par courrier simple mais déclare ne pas pouvoir le prouver.
Il s’en rapporte à l’appréciation de la Chambre des Appels.
IV. Sur la validité du jugement
Le Tribunal de la navigation du Rhin a statué en estimant que les conditions posées par l’article 410 du Code de Procédure pénale étaient remplies. Selon ce texte, le prévenu régulièrement cité à personne, non comparant et non excusé est jugé contradictoirement. Il ne peut être fait application de ce texte à un prévenu qui s’est excusé que si la juridiction constate, expressément, que l’excuse n’est pas valable. La loi n’exclut nullement les excuses tirées de motifs d’ordre privé. Les juridictions apprécient souverainement mais elles doivent se prononcer. Dans ses lettres du 13 février 2000 et 27 mai 2000, R sollicitait la remise de son affaire parce qu’à la date prévue pour l’audience il ne serait pas en Europe. Ces requêtes n’ont pas été examinées et le jugement a été prononcé de suite contradictoirement, ce qui enlevait au prévenu la possibilité de faire opposition.
Ainsi, R s’est trouvé empêché de présenter et de développer, devant le Tribunal, ses moyens de défense. Il convient d’ajouter qu’aux termes de l’article 36 de la convention de Mannheim, le jugement doit énoncer les faits, les questions à trancher et les motifs sur lesquels il s’appuie. De son côté, l’article 485 du Code de procédure pénale français stipule que les motifs constituent la base de la décision, ce qui implique que soient au moins précisées les circonstances de fait. Qu’en l’espèce celles-ci ne sont pas relatées et le procès-verbal de la gendarmerie fluviale n’est même pas mentionné. Au vu des vices qui affectent le jugement, il convient de l’annuler.
Par ces motifs:
La Chambre des Appels
déclare l’appel de R recevable en la forme.
annule le jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 29 mai 2000.
Les frais sont mis à la charge de l’Etat et seront liquidés par le Tribunal de la Navigation du Rhin de Strasbourg, conformément à l’article 39 de la Convention révisée pour la Navigation du Rhin.