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CHAMBRE DES APPELS DE LA COMMISSION CENTRALE POUR LA NAVIGATION DU RHIN
ARRÊT
du 25 juillet 2001
405 C - 8/00
(rendu en appel d'un jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 9 juin 1996 - NR 2/98 - )
dans l'affaire civile
La Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin, dans sa session tenue le 22 novembre 2000 à Strasbourg, à laquelle ont participé les juges MM. H. (Président), Mme C., MM. C., H. et R. et en présence du Greffier M. A. B., a, après audience publique, et conformément aux articles 37 et 45bis de la Convention Révisée pour la Navigation du Rhin du 17 octobre 1868, dans sa teneur du 20 novembre 1963, rendu l’arrêt suivant :
Vu l’ensemble du dossier et notamment :
- le jugement attaqué, rendu par le Tribunal de la Navigation du Rhin de Strasbourg le 3 avril 2000 ;
- la déclaration d’appel du 3 avril 2000 ;
- l’accusé de réception du Tribunal de la navigation du 3 avril et les avis de réception des avocats des parties signés le 4 avril 2000 ;
- les conclusions d’appel des consorts U. en date des 20 juin 2000 et les conclusions des V. N. F. en date des 26 juin 2000, 29 juin 2000 et 23 août 2000.
La Chambre des Appels a décidé de limiter les débats au problème de la régularité de l’appel.
I. Les faits et les procédures antérieures au présent appel
Le 30 juillet 1991, M. D. B., capitaine de l’automoteur-citerne « D. » qui descendait le Rhin, heurta, dans le canal de dérivation qui mène aux écluses de Strasbourg, les installations de prise d’eau du Bauerngrundwasser, implantées sur la digue droite qui assure le maintien en eau d’un ancien bras du Rhin.
Il soutient avoir été contraint de s’approcher de la digue, pour éviter une collision avec l’automoteur « Mi. » conduit par M. U. et appartenant à Madame B. U. – Schiffsgemeinschaft, qui remontait le Rhin mais s’était déporté vers la rive droite, obligeant le « D. » à dévier sur tribord.
Le 25 septembre 1992, les V.N.F. établissement public, chargé de la gestion, de la police et de la conservation du domaine public fluvial, a introduit, devant le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg, une demande d’indemnisation contre M. D. B. et son assureur la Compagnie F. M. O. V. V. S. V.A.
Les défendeurs ont contesté avoir commis une faute nautique et ont appelé en garantie les consorts U.
Par jugement du 8 septembre 1997, le Tribunal a déclaré M. B. et M. U. responsables, chacun pour moitié, du préjudice subi par les V. N. F. Il a condamné, in solidum, M. B. et son assureur à payer aux V. N. F. la somme de 724.320,93 FF, majorée des intérêts légaux ainsi que d’une somme de 40.000 FF au titre de l’article 700 du N.C.P.C.
Il a condamné, solidairement, les consorts U., à rembourser à M. B. et à son assureur la moitié de ces montants.
Les dépens ont été partagés par moitié entre les défendeurs et les appelés en garantie.
Appel a été interjeté par les défendeurs et les appelés en garantie.
Dans son arrêt du 15 décembre 1998 la Chambre des Appels a infirmé le jugement en considérant que le choc était la conséquence des fautes commises par M. U. alors qu’aucune faute n’était prouvée à la charge de D. B.
Elle a rejeté la demande dirigée contre celui-ci et son assureur.
Elle a constaté que suite à ce rejet, l’appel en garantie dirigé par eux contre les consorts U. pour se faire décharger de la condamnation devenait sans objet.
Elle a constaté, aussi, que la demande d’indemnisation des V. N. F. n’avait pas de fondement dans cette procédure puisqu’elles n’avaient rien réclamé aux consorts U.
Les V. N. F. ont été condamnées à payer 30.000 FF au titre de l’article 700 du N.C.P.C. à M. D. B. et à son assureur et à supporter les dépens des deux instances.
Le 24 décembre 1998 les V. N. F. ont introduit contre M. M. U. et Madame B. U. – Schiffsgemeinschaft, devant le Tribunal de la Navigation du Rhin de Strasbourg une demande en paiement de leur préjudice évalué à 724.320,73 FF majorés des intérêts légaux, ainsi que de la somme de 40.000 FF au titre de l’article 700 du N.C.P.C. en soutenant, suite à l’arrêt de la Chambre des Appels, que les fautes de M. U. sont établies et qu’elles ont, seules, causé le dommage.
Les consorts U. ont conclu à l’irrecevabilité de cette demande puisqu’en vertu des articles 117 et 118 de la loi du 15 juin 1895 elle aurait dû être introduite dans l’année suivant celle du fait dommageable soit avant le 1er janvier 1993.
En outre, il ont réclamé, reconventionnellement, une indemnité de 30.000 FF pour procédure abusive ainsi que 20.000 FF en vertu de l’article 700 du N.C.P.C.
Les V. N. F. ont conclu au rejet du moyen tiré de la prescription au motif que le cours de celle-ci aurait été interrompu par les procédures précédentes et n’avait repris qu’après l’arrêt de la Chambre des Appels du 15 décembre 1998.
Elles ont conclu également au rejet de la demande reconventionnelle et ont réclamé, de ce chef, 5.000 FF au titre de l’article 700 du N.C.P.C.
Dans son jugement du 3 avril 2000 le Tribunal pour la Navigation du Rhin a déclaré la demande recevable parce que le cours du délai de prescription a été interrompu pendant la durée des instances et il l’a déclarée fondée en raison des fautes commises par M. U.
Il a condamné les consorts U., solidairement, à payer aux V. N. F. la somme de 724.320,93 FF, majorée des intérêts légaux à compter du jugement, ainsi qu’une somme de 40.000 FF au titre de l’article 700 du N.C.P.C.
Il a rejeté la demande reconventionnelle.
II. Examen de la régularité du présent appel
Par acte du 3 avril 2000, déposé le même jour au Tribunal de la Navigation du Strasbourg par leur avocat, les consorts U. ont interjeté appel contre ce jugement en demandant qu’il soit soumis à la Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin et en se réservant de conclure ultérieurement.
Par écrit du 3 avril 2000, le Président du Tribunal pour la Navigation du Rhin a donné acte au mandataire des défendeurs U. de cet appel et l’a invité à déposer son mémoire ampliatif.
Ce document a été notifié aux avocats des deux parties par lettre recommandée avec avis de réception signé d’eux le 4 avril 2000. Les conclusions justificatives d’appel des consorts U., datées du 20 juin 2000, ont été reçues au Tribunal de la Navigation du Strasbourg, le 23 juin 2000.
Elles visent à faire déclarer la demande des V. N. F. irrecevable pour cause de prescription. Subsidiairement les consorts U. soutiennent qu’elle est mal fondée. Ils sollicitent 40.000 FF au titre de l’article 700 du N.C.P.C.
1. Position des parties quant à la régularité de l’appel
Par conclusions du 26 juin 2000, reçues au Tribunal de la Navigation le 27 juin 2000, reprises par conclusions du 29 juin 2000, les V. N. F. demandent que l’appel soit déclaré non avenu, le délai fixé par l’article 37 alinéa 3 de la Convention de Mannheim pour le dépôt de l’acte justificatif d’appel ayant expiré le 3 mai 2000. Subsidiairement, elles contestent le moyen tiré de la prescription. Elles sollicitent 40.000 FF au titre de l’article 700 du N.C.P.C.
Les consorts U. contestent la caducité de leur appel en invoquant les moyens suivants :
- comme ils sont domiciliés en Allemagne, le reçu de leur déclaration d’appel assorti de l’invitation à conclure aurait dû leur être signifié par l’entremise du Parquet conformément aux articles 683 et 689 à 692 du N.C.P.C.
- en n’indiquant pas le délai imparti à l’appelant pour conclure, le Tribunal pour la Navigation du Rhin a contrevenu à l’article 16 de la déclaration des Droits de l’Homme de 1789 qui proclame le droit des personnes à exercer un recours effectif devant une juridiction ainsi qu’à l’article 6 – 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme rappelant, notamment que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement.
- les V. N. F. ont soulevé la caducité de l’appel postérieurement au mémoire ampliatif de leurs adversaires et seraient donc tout aussi forcloses.
- leur appel ayant été formé avant la signification du jugement qui n’a jamais eu lieu, le délai pour déposer le mémoire ampliatif n’a pas couru.
- les V. N. F. rappellent que l’acte qui a fait courir le délai pour conclure émane des consorts U. eux-mêmes qui ont notifié leur appel au Tribunal pour la Navigation, ce qu’ils pouvaient effectivement faire avant signification du jugement. Comme le Tribunal n’a indiqué aucun délai pour conclure, il en ressort que seul est applicable le délai légal. Les articles du N.C.P.C. invoqués ne concernent pas la transmission d’un accusé de réception et, de toute façon, les règles de procédure du droit national ne sont que supplétives. Il n’y a aucune atteinte aux droits substantiels des consorts U. et ce d’autant moins qu’ils sont représentés par un avocat et que l’invocation des Droits de l’Homme ne fait qu’illustrer l’inanité de l’argumentation.
2. Discussion
1. En vertu de l’article 37, alinéa 1, de la Convention révisée pour la navigation du Rhin, les parties peuvent interjeter appel, dans les différends visés dans cette disposition, du jugement rendu en première instance, soit auprès du tribunal supérieur du pays dans lequel le jugement a été rendu, soit auprès (de la Chambre des Appels) de la Commission Centrale.
Dans le cas où l’appel est porté devant la Commission Centrale, les modalités et le délai dans lequel l’appel doit être interjeté sont réglés en détail dans l’article 37, alinéa 2, fût-ce en termes légèrement différents dans les versions française, allemande et néerlandaise. Ne serait-ce que pour cette raison, l’article 37 demande une interprétation autonome par rapport à la Convention. Il s’agit en effet d’éviter que le pourvoi en appel et le délai dans lequel cet appel doit être interjeté, ainsi que les conséquences qui y sont liées dans l’article 37, soient interprétées différemment dans les différents Etats parties à la Convention. Dans la mesure où il n’est pas renvoyé dans l’article 37 au droit procédural national, cet article comprend une réglementation qui dépasse le droit national, lequel est éventuellement énoncé en d’autres termes.
2. Si l’on choisit de porter l’appel devant la Commission Centrale, l’article 37, alinéa 2, distingue un certain nombre de conditions à respecter :
(i) L’appel devant la Commission Centrale est constitué par la signification (en allemand : Anmeldung) de l’acte d’appel au tribunal qui a rendu le jugement en première instance. Cette signification est accompagnée de la déclaration expresse que l’on entend recourir à la décision de la Commission Centrale. La signification est également faite à la partie adverse.
(ii) Le délai de pourvoi en appel est de trente jours après la notification (en allemand : Insinuation, Zustellung) du jugement de première instance.
(iii) La notification de ce jugement se fait suivant les formes adoptées dans chaque Etat (en allemand : nach der in Gemässheit der Landesgesetze erfolgten Insinuation). La signification (Anmeldung) au tribunal de première instance aura également lieu d’après le mode indiqué par les lois du pays (en allemand : bleibt der Bestimmung der Landesgesetzgebung überlassen).
En vertu de l’article 37, alinéa 4, faute par l’appelant de se conformer aux formalités prescrites, l’appel sera considéré comme non avenu (nicht angebracht). Si les formalités sont remplies, l’appel est recevable et un deuxième délai de trente jours commence à courir, à partir de la signification de l’acte d’appel, pour le mémoire exposant les motifs du recours en seconde instance, comme visé à l’article 37, alinéa 3.
3. Il ressort de cet ensemble de conditions que l’article 37 vise à mettre clairement et inconditionnellement en évidence que l’appelant se pourvoit en appel auprès de la Commission Centrale et non auprès du tribunal supérieur national, que le délai dans lequel il est possible d’interjeter appel auprès de la Commission Centrale ne dépasse pas trente jours et qu’il commence à courir après la signification du jugement attaqué. Le délai d’appel, qui ne peut pas être prolongé, mais est évidemment inférieur à trente jours si l’appelant se pourvoit en appel plus tôt, donne une certitude absolue à la partie adverse en ce qui concerne le moment où le jugement de première instance devient irrévocable si un appel n’a pas été interjeté dans ce délai. La signification du jugement a pour objet de fixer une date de sorte que l’appelant potentiel, ayant été informé du jugement en première instance, dispose d’un délai de réflexion pour envisager ou non d’interjeter appel. La sécurité juridique des parties dans la navigation rhénane internationale exige – et c‘est ainsi qu’il faut interpréter l’article 37 – que si un appelant fait usage selon la modalité indiquée au paragraphe 2, sous (i) et (iii), de la faculté à se pourvoir en appel auprès de la Commission Centrale du jugement rendu en première instance et s’il le fait avant que le jugement lui ait été notifié, son appel est valable. En effet, le jugement lui est connu et il n’a manifestement pas voulu faire usage d’un délai de réflexion. Dans un tel cas, la partie adverse doit pouvoir être sûre que le deuxième délai de trente jours, comme visé à l’article 37, alinéa 3, a commencé à courir à partir de la date de signification de l’acte d’appel.
4. Dans le cas qui nous occupe, les consorts U. ont exprimé expressément et de façon non équivoque avec leur déclaration d’appel du 3 avril 2000, déposée le même jour au tribunal de la navigation de Strasbourg par leur avocat, leur souhait de recourir à la décision de la Commission Centrale. L’appel a donc été interjeté selon la modalité prévue au paragraphe 2 sous (i) et (iii).
5. Il ressort de ce qui précède qu’un tel appel est recevable et produit les mêmes effets que celui formé après la notification du jugement. Il a donc fait courir le délai de trente jours imposé par l’article 37, alinéa 3, de la Convention pour déposer le mémoire exposant les motifs du recours. En conséquence, la manière dont le jugement attaqué a été notifié aux consorts U. en République fédérale d’Allemagne n’étant plus pertinente, elle peut ne pas être prise en compte.
6. L’accusé de réception de l’appel, assorti d’une invitation à conclure faite à l’appelant par le Président du Tribunal, était dépourvu d’effet sur le point de départ du délai et sur la longueur de celui-ci, tous deux étant fixés impérativement par l’article 37 alinéa 3 de la Convention.
La transmission d’une telle pièce par lettre recommandée aux avocats des parties, établis à Strasbourg, qui en ont accusé réception dès le 4 avril 2000 est régulière au regard des articles 652 et 667 du N.C.P.C. En effet l’article 652 dispose « Lorsqu’une partie a chargé une personne de la représenter en justice, les actes qui lui sont destinés sont notifiés à son représentant sous réserve des règles particulières à la notification des jugements ». L’article 667 relatif à la notification des actes en la forme ordinaire précise : « La notification est faite sous enveloppe ou pli fermé soit par la voie postale soit par la remise de l’acte au destinataire contre émargement ou récépissé ». En l’espèce ces prescriptions ont été respectées. L’obligation légale faite aux parties d’accomplir les actes de procédure dans un certain délai ne porte pas atteinte aux Droits de l’Homme.
Le délai de 30 jours pour justifier l’appel qui s’impose aux juges et aux parties, n’avait pas à être rappelé pour répondre aux exigences de l’article 6-1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ce délai n’ayant pas été respecté par les consorts U., leur appel doit être considéré comme non avenu.
Aucune forclusion n’est encourue par les V. N. F. qui, conformément à l’article 37 alinéa 3 de la Convention, s’étant vu fixer un délai de quatre semaines pour répondre aux conclusions justificatives d’appel du 23 juin 2000, se sont exécutées par conclusions du 26 juin 2000 parvenues au Tribunal de la Navigation du Rhin le lendemain.
III. Sur les dépens et sur les conclusions prévues au titre de l’article 700 du N.C.P.C.
Les consorts U. ayant succombé en première instance et leur appel étant déclaré non avenu, il leur incombe de supporter les dépens.
Il n’y a pas lieu d’ajouter un autre montant à la somme de 40.000 FF accordée par le premier juge au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs
La Chambre des Appels
Constate que l’appel formé le 3 avril 2000 par les consorts U. contre le jugement du Tribunal de la Navigation du Rhin de Strasbourg, rendu le même jour, est non avenu.
Met les dépens à leur charge qui seront liquidés conformément à l’article 39 de la Convention révisée pour la Navigation du Rhin du 17 octobre 1868.
Rejette toutes autres conclusions.