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Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin
Arrêt du 10 décembre 1992
261 P - 10/92
Exposé des faits et de la procédure:
Le 24 septembre 1990 était émis sous la double signature des autorités françaises et allemandes compétentes un avis à la batellerie informant les usagers de la navigation qu'en raison d'exercices militaires, la navigation était interdite sur le Rhin entre les p.k. 309 et 354,150 du samedi 20 octobre à 15 heures au dimanche 21 octobre à 10 heures et qu'en conséquence la navigation avalante serait arrêtée dans les garages amont des écluses de Gambsheim et d'Iffezheim du samedi 20 octobre à 12 heures au dimanche 21 octobre à 10 heures.
Il n'est pas contesté qu'en application de cet avis le service de la navigation allemande avait mis en place un signal d'interdiction générale A1 (2 feux rouges) sous le pont de Roppenheim au p.k. 335,70 du Rhin et que l'employé des écluses d'Iffezheim a signalé aux bateliers dont les bateaux se trouvaient dans le sas Est, et qui faisaient route vers l'aval, que la navigation était arrêtée depuis 12 heures. En dépit du signal d'interdiction et de l'information du préposé des écluses, I, conducteur et propriétaire de l'automoteur A, a mis son bâtiment en mouvement vers l'aval, et n'a donné aucune suite aux appels répétés de l'éclusier sur le canal 22 des écluses, lui rappelant que la navigation était interrompue. Contacté par radio à 12 heures 30, sur le territoire de la commune de Beinheim, au p.k. 336 par les gendarmes P et O de la brigade fluviale de Gambsheim, chargés d'assurer au bord de leur vedette l'application de l'avis à la batellerie et la sécurité des points de franchissement empruntés par les troupes en manoeuvre, le conducteur de l'automoteur leur fit savoir qu'il n'avait pas l'intention de respecter la signalisation en place, ni l'avis à la batellerie dont il reconnaissait avoir pris connaissance. Les gendarmes étant montés à bord du bâtiment procédèrent aux vérifications d'usage, mais I se refusa à toute déclaration et continua sa route.
Poursuivi par le Ministère public pour avoir le 20 octobre 1990 à Beinheim refusé d'obtempérer aux ordres donnés par des agents des autorités compétentes en vue de la sécurité et du bon ordre de la navigation (article 1.19 du Règlement de police pour la navigation du Rhin) et pour ne pas avoir respecté des prescriptions édictées en vue de la sécurité et du bon ordre de la navigation (non respect de l'avis à la batellerie n° 81 du 24 septembre 1990 - article 1.22 dudit règlement), I a été jugé à l'audience du Tribunal pour la navigation du Rhin de Strasbourg du 27 mai 1991, où il était représenté par G, avocat, et condamné par jugement du même jour à la peine sus-mentionnée. Dans son unique motif, relatif à la culpabilité, le Tribunal constate "Les faits reprochés au prévenu sont établis et exactement qualifiés".
Dans ses conclusions d'appel le prévenu demande à la Chambre des Appels:
"Annuler le jugement dont appel,
"Relaxer le prévenu des fins de la poursuite;
"Très subsidiairement,
"Ordonner l'audition des gendarmes : P et O, rédacteurs du PV clôturé le 4 novembre 1990."
Qu'il fait valoir:
que les faits pour lesquels il a été poursuivi n'ont pas été exposés avec suffisamment de précision dans l'assignation pour lui permettre d'assurer sa défense;
que dans le délai d'appel le jugement n'était pas rédigé de sorte qu'il n'a pas eu connaissance des motifs retenus à l'appui de sa culpabilité;
que le défaut de motivation est contraire à l'article 6.3.a de la Convention Européenne des Droits de l'Homme;
qu'au cas où la Chambre des Appels entendait évoquer l'affaire, malgré l'absence de dispositions formelles dans ce sens, il fait valoir les moyens suivants:
- la saisine ne détaille aucun fait qui caractériserait le refus d'obtempérer à un ordre des autorités compétentes;
- les gendarmes ne lui ont adressé aucune injonction de s'arrêter en amont du signal d'interdiction générale A1 mis en place sur le territoire allemand et dont le franchissement constitue une infraction instantanée;
- les gendarmes, après être montés à bord, ne lui ont adressé aucune injonction, ce dont il offre de rapporter la preuve par leur audition à titre de témoins;
- le Tribunal pour la navigation du Rhin de Strasbourg est incompétent en vertu de l'article 35 de la Convention de Mannheim pour prononcer une sanction d'une quelconque violation de navigation sur la section entre le pont de Roppenheim et le prolongement des berges du Rhin de la rive droite, cette section n'étant pas située dans le ressort dudit tribunal, ni sur le territoire de la commune de Beinheim;
- en naviguant sur le territoire français du Rhin, à 12 heures 30, il n'a pas enfreint l'avis de la batellerie n° 81 du 24 septembre 1990, l'interdiction de naviguer prescrite ne commençant qu'à 15 heures, alors qu'il disposait de suffisamment de temps pour franchir avant cette heure le secteur interdit.
Le Ministère public a conclu de son côté à l'irrecevabilité de l'appel "car contraire en la forme aux dispositions des articles 502 et 547 du Code de Procédure Pénale français" applicables en exécution des alinéas 2 et 4 de l'article 37 de la Convention de Mannheim. En ce qui concerne le fond, il relève la mauvaise foi du prévenu et la dangerosité de son comportement et conclut à la confirmation du jugement.
Sur la recevabilité de l'appel:
Les deux actes d'appel du 25 juin 1991 qui figurent à la procédure portent tous les deux en tête la mention "Tribunal pour la navigation du Rhin - 67000 Strasbourg", et au pied celle de "Appel signifié à Monsieur le Procureur de la République contre quittance". Ils sont revêtus d'un cachet qui indique la date du 26 juin 1991 et, en ce qui concerne un des actes, de la mention Tribunal d'Instance de Strasbourg, l'inscription sur l'autre acte étant illisible. Aucune signature du ou des destinataires ne figure sur ces actes. Comme aucune quittance n'est produite, on pourrait mettre en doute le point de savoir si lesdits actes ont été effectivement déposés, ainsi qu'il est mentionné au Tribunal pour la navigation du Rhin et au parquet de M. le Procureur de la République de Strasbourg. Comme toutefois, ce dernier, dans ses conclusions, admet la réalité des dépôts par le mandataire du prévenu il y a lieu de considérer que les actes ont fait l'objet du dépôt mentionné.
Dès lors se pose la question de la recevabilité en la forme de cet appel. Cette question se divise en deux branches:
D'une part, pour être régulier, l'appel devait-il, ainsi que le soutient le Procureur de la République, être fait selon les dispositions des articles 502 et 547 du Code de Procédure Pénale aux termes desquels "la déclaration d'appel doit être faite au Greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée" et "elle doit être signée par le Greffier et par l'appelant ou son mandataire" et inscrite sur un registre public tenu ad hoc.
D'autre part, l'appel fait par dépôt d'un acte d'appel contre quittance est-il conforme aux dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la Convention de Mannheim.
En ce qui concerne le premier point, il a été jugé par cette Chambre dans l'affaire V (Arrêt 240 P - 2/91 du 27 janvier 1991) que l'appel fait par voie de signification, selon exploit d'huissier, tant au Tribunal de 1ère instance qu'à la partie adverse était conforme aux dispositions de l'article 37 de la Convention de Mannheim et qu'aucune nullité ne pouvait, en conséquence, être invoquée pour non observation des dispositions des articles 502 et 547 du Code de procédure pénale français.
Par contre, il est exact également que selon la doctrine de l'arrêt M (Arrêt 120 S - 3/81 du 27 février 1981) de la Chambre, il n'était pas obligatoire de suivre la voie de la signification par huissier et que l'appel devant la Commission pouvait aussi être fait selon le mode national. Dans ce cas il est réalisé, en matière pénale en France, par simple déclaration au Greffe de la juridiction de 1ère instance qui a rendu la décision attaquée, conformément aux articles 502 et 547 sus-visés.
Il n'est pas fait mention dans ce code d'un appel constaté par "quittance". Cette façon de procéder n'existe pas non plus en procédure civile "sans représentation obligatoire" ce qui est admis être le cas pour les procédures civiles devant les juridictions rhénanes.
En l'espèce, l'avocat du prévenu ne s'est donc conformé ni aux règles de la procédure pénale française, ni aux prescriptions de la Convention de Mannheim.
Vainement il soutient qu'en réalité, en droit rhénan, l'appel ne relève d'aucun formalisme, qu'il peut être fait par tout procédé idoine, et que le terme de "signification" figurant dans le traité n'a aucun sens procédural précis.
En effet, si tel était le cas, on ne comprendrait pas pourquoi il est expressément indiqué à l'article 37 que la "signification" doit être faite selon le mode du pays. Cette stipulation qui figure aussi dans le texte allemand et néerlandais n'aurait aucun sens si le mode de signification était laissé à l'initiative de l'appelant.
Si par ailleurs il est exact que le Code de procédure pénale, de même que le Code de procédure civile, a subi de multiples modifications depuis 1868, il n'est pas moins vrai que la définition de la "signification" en droit procédural n'a pas varié, en ce sens qu'elle implique l'intervention d'un huissier (cf. Littré - voir signification). Les rédacteurs de la version française de la Convention ne pouvaient ignorer cette définition de sorte qu'on doit admettre que c'est en toute connaissance de cause que le terme a été utilisé.
Il appert de ce qui précède que l'appel interjeté par I n'est pas régulier, et qu'en conséquence il doit, aux termes de l'alinéa 4 de l'article 37 de la Convention être déclaré non avenu.
Par ces motifs:
La Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin
Déclare non avenu l'appel de I contre le jugement du Tribunal pour la navigation du Rhin de Strasbourg du 27 mai 1991 lequel sortira en conséquence son plein et entier effet;
Condamne I aux dépens de l'instance d'appel;
Dit que ces dépens seront liquidés conformément à l'article 39 de la Convention Révisée pour la Navigation du Rhin par le Tribunal de la Navigation du Rhin de Strasbourg.
Le Greffier-adjoint : Le Président :