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CHAMBRE DES APPELS DE LA COMMISSION CENTRALE POUR LA NAVIGATION DU RHIN
ARRÊT
du 18.04.1985
(rendu en appel d’un jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Duisbourg-Ruhrort du 6 mars 1984 - 5 C 18/82 BSch -)
EXPOSE DES FAITS:
La demanderesse est l’assureur de l’automoteur-citerne "T", qui le 23.8.81 en navigation montante sur le Rhin, a subi près de la localité de Bonn, une collision et éprouvé des dommages. La demanderesse a payé un montant allégué de dommages de 185.724,08 DM et en demande aux défendeurs le remboursement, ceux-ci ayant à son avis provoqué fautivement l’abordage. Les événements ont eu lieu comme suit:
Le bâtiment chargé "T" entreprit, aux environs de 22 h 30, de dépasser à son côté bâbord l’automoteur-citerne "G" appartenant au défendeur cité sous 1) et conduit par le défendeur cité sous 2) et qui serrait les épis de la rive gauche du Rhin. En vue du dépassement, le "T" se porta si près de la rive droite du Rhin qu’il ne restait, plus entre lui et le "G" qu’une largeur de fleuve de 60 à 80 m. L’automoteur-citerne "P" arrivait, se dirigeant vers l’aval. Ce dernier entendit passer entre les deux montants. Ceux-ci avaient d’ailleurs compris son intention et étaient d’accord avec ce croisement, possible sans danger.
Cette situation se modifia du fait que la commande automatique principale de gouverne du "G" tomba en panne. Avant que le gouvernail de secours, immédiatement enclenché ait pu réagir, le bâtiment se déporta vers bâbord dans la route du "P". Le conducteur de ce dernier bâtit arrière déportant le bateau sur tribord. Peu de temps après, le "P" heurta aussi bien le "G" que le "T", l’ordre des heurts restant contesté.
La demanderesse estime que les faits établissent la responsabilité des défendeurs dans la collision. L’installation de gouverne du "G" n’aurait pas été en ordre. En outre, le gouvernail de secours n’aurait pas fonctionné.
La demanderesse a conclu:
Condamner les défendeurs solidairment à lui payer 185.724,08 DM, outre 4 % d’intérêts sur le montant de 135.974,08 DM et 12 % sur le montant de 49.750 DM, dans les deux cas à partir du 3.11.81 et déclarer le défendeur cité sous 1) responsable non seulement avec le "G" mais aussi personnellement dans le cadre de la loi sur la navigation intérieure.
Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande.
Ils ont attiré l’attention sur le fait que la commande automatique de l’installation de gouverne du "G" serait tombée en panne de manière bien surprenante. Une défaillance antérieure, au cours du même voyage, près de Mönchenwerth, aurait conduit à une réparation de l’installation de gouverne, réparation menée à bien par des spécialistes. Ceux-ci auraient établi que l’installation de gouverne était désormais en ordre. Le bateau lui aurait été livré seulement le 8.8.1981, comme construction nouvelle, par les chantiers navals. La commande automatique de l’installation de gouverne serait tombée en panne deux fois au cours des quelques voyages précédant celui de l’accident mais aurait cependant toujours été réparée et même modifiée dans sa construction. En d’autres termes, rien n’a été négligé dans son entretien. Au moment de la défaillance de l’installation, juste avant l’avarie, la gouverne de secours aurait immédiatement été utilisée. Ceci a permis avant la première collision, de redresser le bâtiment qui s’était déporté tout d’abord vers bâbord. Par contre, le "P", arrivant en position de travers tribord, serait entré en collision avec le "T".
Le Tribunal pour la navigation du Rhin de Duisbourg-Ruhrort a joint le dossier d’instruction 5 II 11/81 du Tribunal pour la navigation du Rhin de Duisbourg-Ruhrort et a déclaré la demande justifiée quant au fond. Le jugement se fonde sur la considération selon laquelle, compte tenu de la défaillance de la commande automatique de la gouverne du "G" lors de voyages précédents, le voyage n’aurait dû être poursuivi le 22.8.1981,après que l’installation soit tombée à nouveau en panne, qu’après que la cause des dégâts ait pu être déterminée et neutralisée. Ceci n’a pas eu lieu lors des réparations qui furent entreprises.
Les défendeurs ont interjeté appel.
Les Parties réitèrent leurs conclusions de 1ère Instance et prennent position par rapport aux motifs du Tribunal pour la navigation du Rhin.
Les défendeurs concluent:
faire droit à leurs dernières conclusions de 1ère Instance.
La demanderesse conclut au rejet de l’appel.
EXPOSE DES MOTIFS:
L’appel est régulier en la forme et mal fondé pour les raisons suivantes:
1. La cause de l’avarie litigieuse se trouve uniquement être le fait du "G". Le bâtiment, échappant à sa gouverne, s’est retrouvé déporté vers bâbord, situation dans laquelle, serrant la rive gauche en navigation montante, il fut dépassé sur bâbord par "T", alors que simultanément le "P" entrepris dépasser entre les deux bâtiments cités.
Il est incontestable que ce croisement se serait déroulé sans problèmes si le "G" n’avait pas soudainement modifié sa route vers bâbord. Cette modification de la route conduisit à l’avarie. Elle amena le "G" dans la route de l’avalant "P". Afin d’éviter la collision, l’on tenta de battre arrière, ce qui amena le bâtiment en position de travers. Cette situation conduisit à l’avarie; il n’est pas utile d’établir si le "P" aurait heurté le "G" puis ensuite le "T" et finalement à nouveau le "G" ou si le 1er heurt concernait le "T" et le second le "G". L’ordre des collisions ne change rien au fait que la cause de tous les évènements en résultant se trouve être la modification indiquée de la route du "G". D’autres causes-unique ou multiples ne peuvent être déterminées. On ne saurait en tous cas les trouver dans le comportement du conducteur du "P" lequel, compte tenu de la modification de la route du "G" dans la route de son propre bâtiment, battit arrière, conscient de la position de travers qui en résulterait. Ce comportement n’était qu’une réaction appropriée à la modification de la route du "G" et au danger de collision en résultant. Ce comportement ne créa aucune cause nouvelle - unique ou non - de l’accident.
2. La cause de la modification de la route du "G" réside dans la défaillance de la commande automatique de gouverne. Avant que le gouvernail de secours, immédiatement enclenché, ait répondu, le bâtiment se retrouva déporté vers bâbord, situation qui à son tour provoqua les mesures qui viennent d’être décrites de la part du "P". L’on peut négliger le point de savoir si et dans quelle mesure le gouvernail de secours a pu redresser le "G" au moment du premier heurt. Cela n’est point intéressant pour la détermination de la cause de l’accident, mais concerne plutôt le déroulement final des événements et le fait de savoir si les bateaux impliqués ont correctement réagi. Ceci a été explicité.
La cause de la défaillance de la commande automatique principale de la gouverne du "G" est, d’après l’expertise du "Bundesanstalt fur Materialprüfung" à Berlin, la défaillance d’un relais qui a été considérablement surchargé par les conditions d’exploitation du bateau. A côté de cette surcharge, toujours selon l’expertise, un autre facteur causal non déterminé a dû jouer. Les recherches n’ont pas été poursuivies à cet égard, car entraînant des frais trop élevés sans certitude d’aboutir. Pour l’appréciation du présent litige, la réponse à cette question n’est point nécessaire.
D’après les explications ci-dessus, la défaillance de la commande automatique principale de la gouverne constitue la cause de l’accident dont les conséquences n’ont pu être évitées par l’enclenchement du gouvernail de secours. Que le gouvernail de secours n’ait répondu que tardivement peut être négligé, car sans influence sur la décision.
3. Le conducteur du "G" est responsable de l’avarie pour les raisons suivantes:
Peu de temps avant l’avarie, le bâtiment a été livré le 8.8.1981 à l’armement par le chantier naval, en tant que construction neuve. Avant l’accident en cause, il n’avait accompli que très peu de voyages au cours desquels la commande automatique de gouverne est tombée soudainement en panne, ce qui est incontesté. Elle a été réparée et modifiée également dans son raccordement afin de s’assurer que lors de la défaillance d’un relais, ne se produise pas également la défaillance du gouvernail de secours intéressant le même relais, faiblesse que recélait tout d’abord l’installation de gouverne.
Toutes ces mesures n’empêchèrent point que lors du voyage au cours duquel l’avarie eu lieu, la commande automatique principale du "G" tomba soudainement deux fois en panne, la première fois près de Mönchenwerth le 22.8.81 et ensuite immédiatement avant l’avarie, près de la localité de Bonn. L’on peut négliger comme inopérant pour le présent litige le fait que cette installation de gouverne soit même tombée une troisième fois en panne aux environs de Cologne sans que cela ait eu des conséquences. La responsabilité du conducteur du "G" est déjà engagée par le fait qu’après l’accident de Mönchenwerth, le 22.8.81, le voyage a été poursuivi en utilisant l’installation de gouverne automatique. Certes l’installation fut réparée après sa défaillance près de Mönchenwerth. Ceci n’a cependant pas eu lieu avec succès comme le prouve la nouvelle défaillance de la commande automatique. Comme après les incidents précédents, l’on s’est contenté de changer les relais. Ceci était insuffisant car ces mêmes mesures avaient déjà été prises après les défaillances précédentes de l’installation de gouverne sans que cela ait empêché leur renouvellement. Ceci démontre que les relais ont subi des contraintes conduisant à leur défaillance. Le changement des relais ne pouvait nullement écarter ces défauts. Dans cet ordre d’idées, l’on doit souligner que, selon le rapport du Bundesanstalt fur Materialprüfung à Berlin précité,le relais a été considérablement surchargé par les conditions d’exploitation du "G". Le conducteur de ce bâtiment aurait dû être conscient de ce fait, le 22.8.81, puisqu’il a eu l’occasion de se rendre compte des faiblesses de son installation de gouverne lors de voyages précédents. Il aurait du en déduire que l’ensemble de l’installation de gouverne restait insuffissante et peu sûre dans son fonctionnement tant qu’il n’aurait pas été procédé à son examen systématique, tant que ses défauts n’auraient pas été identifiés et écartés. De nouveaux relais n’éviteraient pas de telles faiblesses, ce dont le conducteur du "G" aurait dû être conscient le 22.8.81. Ces faiblesses n’étaient pas davantage écartées lorsque le 22.8.81 le raccordement de l’installation de gouverne automatique fut modifié de telle sorte que la commande du gouvernail de secours soit rendue indépendante du relais. Ce faisant on ne s’est prémuni que d’une possible défaillance du gouvernail de secours résultant de la défaillance du relais ayant conduit à la panne de la commande principale de gouverne. La défaillance de la gouverne principale en raison de la défaillance d’un relais ne pouvait pas être évitée par ces mesures.
Il ressort de ces explications que le "G", après l’incident du 22.8.81, aurait dû être déchargé et envoyé au chantier naval pour un examen systématique de son installation de gouverne. La poursuite du voyage aurait dû être exclue en raison du danger d’une nouvelle défaillance de la commande automatique de gouverne au moment de son utilisation.
En poursuivant son voyage, le conducteur du "G" a violé l’obli¬gation générale de vigilance et contrevenu à l’article 1.04 du Règlement de Police pour la navigation du Rhin. Les défendeurs répondent des conséquences de cet abordage selon les articles 823 du Code civil allemand (BGB) et 3, 4 et 114 de la loi sur la navigation intérieure (BschG).
Par ces motifs, il est statué:
1) L’appel des défendeurs contre le jugement du Tribunal pour la navigation du Rhin de Duisbourg-Ruhrort du 6.3.84 est rejeté. Le jugement précité est confirmé.
2) Les frais de la procédure d’appel sont à la charge des défendeurs, responsables solidairement.
3) La liquidation des frais intervient conformément à l’article 39 de la Convention révisée pour la navigation du Rhin par le Tribunal pour la navigation du Rhin de Duisbourg-Ruhrort.