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CHAMBRE DES APPELS DE LA COMMISSION CENTRALE POUR LA NAVIGATION DU RHIN
ARRÊT
du 28.10.1980
EXPOSE DES FAITS:
Le prévenu était conducteur de l’automoteur citerne "„D“" jaugeant 1436,7 tonnes, d’une longueur de 84,97 m, d’une largeur de 9 m et doté d’un moteur de 900 CV. Il quitta avec ce bâtiment le 13.2.l978 aux environs de 22.00 heures le port de SPEYER, se dirigeant vers l’aval. Le bâtiment était chargé de l455.975 tonnes de méthanol brut à un enfoncement de 2,72m . Le niveau des eaux à l’époque était en baisse. L’échelle de Mannheim indiquait au 13.2.l978 à 5.00 heures 265 cm, à 13.00 heures 258 cm et au l4.2.l978 à 5.00 heures 250 cm. L’échelle de Maxau indiquait le 13.2.1978 à 5.00 heures 415 cm et le l4.2.l978 411 cm. Peu de temps après son départ de SPEYER, le bateau, conduit par le prévenu, s’échoua près du p.k. 405. L’arrière du bâtiment se déporta vers tribord et heurta l’automoteur citerne "„P“" naviguant à la remonte. Les deux bâtiments furent fortement endommagés. "„D“" fut immobilisé en position de travers jusqu’au jour suivant. Le bâtiment se libéra après qu’il eut été allégé. Lors de son échouement, il avait provoqué un rétrécissement du chenal d’environ 25 m et gêné considérablement la navigation.
Une ordonnance pénale de 2.000 DM (50 DM par jour sur 40 jours) fut délivrée à l’encontre du prévenu le 15.8.1978 par le Tribunal pour la Navigation de Mannheim pour délit réprimé par l’article 315 a du Code pénal car, par sa faute lourde, il a contrevenu aux règles assurant la sécurité de la circulation fluviale. Sur son opposition, le même tribunal l’a condamné pour le même délit à une amende de l.500 DM (50 DM par jour à raison de 30 jours). L’appel du prévenu contre ce jugement relève, entre autres, l’incompétence du Tribunal pour la Navigation avec l’argument que le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Mannheim était compétent. Le Landgericht Mannheim, lequel avait tout d’abord reçu l’appel et fixé une date d’audience à la suite de l’exception soulevée, a transmis l’affaire à l’Oberlandesgericht Karlsruhe qui a connu de l’appel en sa qualité du Tribunal Supérieur pour la Navigation. Par jugement du 2.10.l979 ce dernier infirma le jugement du Tribunal pour la Navigation de Mannheim et renvoya l’affaire au Tribunal pour la Navigation du Rhin de Mannheim. La décision est fondée comme suit: Conformément à l’article 14 chiffre 2 de la loi de procédure concernant la navigation intérieure, les litiges en matière civile et pénale ainsi que ceux faisant l’objet d’amendes administratives visés à l’article 34 et 34bis de la Convention révisée pour la navigation du Rhin ne seraient des affaires de navigation du Rhin que s’ils concernaient des événements qui se sont déroulés sur le Rhin, en aval de la frontière germano-suisse, près de Bâle. Le législateur serait parti de l’idée qu’à côté des affaires sanctionnées par des amendes administratives, les infractions commises en relation avec la violation de prescriptions de police fluviale seraient également des affaires de navigation du Rhin si le centre de gravité se situait dans la violation de prescriptions de police de la navigation. L’expression "en matière pénale" utilisée à l’article 34 de la Convention révisée pour la navigation du Rhin ne saurait être interprétée, compte tenu de l’évolution historique, que comme représentant un concept général englobant les affaires pénales comme les affaires sanctionnées par des amendes administratives. Le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Mannheim a tranché le 4.2.80 comme le Tribunal pour la Navigation de Mannheim c’est-à-dire a prononcé une amende de l.500 DM à l’encontre du prévenu. Il a certes décliné sa compétence car, dans les affaires pénales, celle-ci est limitée aux contraventions aux prescriptions relatives à la navigation et à la police fluviale. Conformément à l’article 328 § 3 du Code de procédure pénale, il se considère cependant lié par le renvoi du litige par le Tribunal Supérieur pour la Navigation de Karlsruhe. Quant au fond, le Tribunal pour la Navigation du Rhin reproche au prévenu de n’avoir pas respecté lors du chargement de son bâtiment, la règle, tirée de la pratique pour le trajet considéré - échelle de Maxau 180 - et - échelle de Mannheim + 10 cm. D’après la 1ère règle et par un niveau des eaux de 415, l’enfon¬cement autorisé eut été de 2,35 m, d’après la seconde par un niveau des eaux de 256 m l’enfoncement autorisé eut été de 2,66 m. Le prévenu aurait chargé son bâtiment à 2,72 m. Le Tribunal pour la Navigation du Rhin a rejeté l’affirmation que le chargement au niveau de l’échelle de Mannheim + 20 cm, c’est-à-dire 2,86 m, équivalait également à un usage de la pra¬tique, car une telle règle n’existait pas, du moins au moment des faits.
L’appel du prévenu est interjeté à l’encontre de ce jugement; le prévenu se fonde toujours sur l’existence d’une règle en usage dans la pratique - échelle de Mannheim + 20 cm - et croit que son bâtiment n’était pas suffisamment chargé et ne s’est échoué que par suite d’un concours de circonstances malheureuses.
Le représentant du Ministère Public conclut au renvoi du litige devant le Tribunal Supérieur pour la Navigation du Rhin de Karlsruhe en se référant à la décision du Tribunal Supérieur pour la Navigation de Karlsruhe du 22.8.1980 ( Ws 5/80 RhSch).
EXPOSE DES MOTIFS:
L’appel du prévenu, régulier en la forme, est rejeté. La Chambre des Appels a considéré ce qui suit :
1. Concernant la compétence des Tribunaux pour la navigation du Rhin.
La règle de compétence est en l’occurrence uniquement l’art. 34 I en liaison avec l’article 32 de la Convention révisée. Les législations nationales ne peuvent ni la limiter ni l’étendre. Aussi l’article 14, chiffre 2, de la loi allemande sur la procédure judiciaire en matière de navigation intérieure renvoie correctement pour la définition des affaires de navigation du Rhin à l’article 34 de la Convention révisée pour la navigation du Rhin avec la précision que "seules" les affaires pénales et les affaires réprimées pat une amende administrative énumérées constituent des affaires de navigation du Rhin. Les considérants contraires du Tribunal Supérieur pour la navigation de Karlsruhe contenues dans la décision du 22.8.80 (Ws 5/80 RhSch) ne sont pas convaincants. Il y est reconnu en effet la compétence du législateur national de modifier unilatéralement un traité international tel que la Convention révisée pour la navigation du Rhin et ce par l’extension de la compétence de tribunaux pour la navigation du Rhin. De plus, il est admis que le législateur allemand aurait utilisé cette compétence lors de la modification d’une loi relative à la procédure judiciaire en matière de navigation intérieure. Il convient d’y objecter que des modifications unilatérales d’un traité international entreprises par un Etat contractant à ce traité ne sont pas compatibles avec les principes universellement reconnus du droit international public. La Convention révisée pour la navigation du Rhin aurait cependant été affectée si les règles gouvernant la compétence y contenues avaient été modifiées par une extension de la compétence des tribunaux pour la navigation du Rhin réalisée par l’un des Etats Parties à ladite Convention. Cette violation eut été particulièrement conséquente car, de l’avis du Tribunal Supérieur pour la Navigation de Karlsruhe, la possibilité d’appel auprès de la Chambre des Appels de la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin eut été restreinte. La Chambre des Appels remarque en outre que la modification de la loi de procédure judiciaire en matière de navigation intérieure évoquée par le Tribunal Supérieur pour la Navigation de Karlsruhe ne laisse à aucun moment apparaître l’intention du législateur allemand de modifier les règles de compétence de la Convention révisée pour la navigation du Rhin. Le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Mannheim a exposé ce qui précède de façon convaincante dans sa décision du 29.2.80 (Cs l/80 RhSch). Les motifs avec lesquels le Tribunal Supérieur pour la Navigation de Karlsruhe a rejeté ces considérations dans la décision sus indiquée n’emportent pas la conviction de la Chambre.L’article 34 I de la Convention révisée pour la navigation du Rhin limite la compétence des tribunaux pour la navigation du Rhin dans les affaires pénales "à l’instruction et au jugement de toutes les contraventions aux prescriptions relatives à la navigation et à la police fluviale". De telles contraventions sont qualifiées en droit allemand "d’Ordnungswidrigkeiten" et se distinguent de la criminalité proprement dite laquelle comprend les crimes et les délits. Le prévenu a été condamné par le Tribunal pour la Navigation du Rhin pour un délit. Le Tribunal pour la Navigation du Rhin pour les motifs ci-dessus, n’était pas compétent à cet effet. Qu’il ait été rendu compétent comme exposé dans ses motifs parce que le Tribunal Supérieur pour la Navigation de Karlsruhe lui a renvoyé le litige importe peu dans la mesure où l’infirmation du jugement prononcé pour incompétence du Tribunal peut être évitée pour les raisons qui suivent:
L’infraction commise par le conducteur ne constitue pas seulement un délit conformément à l’article 32.5 du Code pénal allemand mais aussi une contravention en vertu de l’article 1.6 du Règlement de police pour la navigation du Rhin. La contravention, comme il va encore l’être indiqué ci-après, réside dans le chargement du bateau lequel n’a pas tenu compte de certains usages en vigueur dans la pratique et valables sur le Rhin supérieur. Pour de tels faits qui, juridiquement, peuvent être appréciés à différents points de vue, la loi allemande sur la procédure judiciaire en navigation intérieure attribue aux tribunaux allemands pour la navigation compétence en matière pénale pour les affaires dont l’élément central réside dans la violation de présentions à la police de la navigation pour autant que les tribunaux cantonaux (en première instance) soient compétents en vertu de la loi allemande d’organisation judiciaire. Dans de tels cas, le fait illicite du prévenu peut être apprécié sous tous ses aspects juridiques avec pour conséquence par exemple une peine délictuelle. Cette règle n’est certes pas applicable aux tribunaux pour la navigation du Rhin. Ceci n’exclut cependant pas que ces tribunaux puissent connaître de tels actes. Leur appréciation et leur jugement doivent alors simplement se limiter aux contraventions aux prescriptions relatives à la navigation et à la police fluviale car l’article 34.I de la Convention révisée pour la navigation du Rhin ne donne compétence que pour ces chefs d’accusation. Ceci vaut également lorsque l’élément central du fait illicite ne se trouve pas dans la violation de ces prescriptions. L’erreur du Tribunal pour la navigation du Rhin réside par conséquent dans le fait d’avoir inculpé le prévenu pour un délit. La Chambre des Appels peut infirmer le jugement car selon l’article 2,4 II 1 de son Règlement de procédure, le jugement attaqué, en matière pénale, est soumis entièrement à l’appréciation de la Chambre. Elle peut ainsi apprécier juridiquement l’acte illicite du prévenu autrement que ne l’a fait le Tribunal pour la navigation du Rhin.
2. Quant à l’appréciation de l’acte perpétré par le prévenu:
Il lui est reproché d’avoir entrepris le voyage au cours duquel s’est produit l’accident, avec un bateau chargé à un trop grand enfoncement. Il est à retenir qu’aucune contravention à l’article l.07 chiffres 1 et 2 du Règlement de police pour la Navigation du Rhin n’a été démontrée. Le bateau n’était pas chargé au-delà du bord inférieur des marques d’enfoncement et le chargement ne présentait aucun danger pour la stabilité du bateau bien que celui-ci ait été légèrement surchargé (1.436,710 t de port en lourd pour un chargement effectif de l.455,975 t). D’après l’article l.06 du RPNR, l’enfoncement d’un bâtiment doit être compatible avec les caractéristiques de la voie navigable et des ouvrages d’art. Un conducteur viole cette règle lorsque le chargement de son bateau ne correspond pas aux usages en vigueur sur le Rhin. La Chambre des Appels a eu à connaître de la portée de cet usage, notamment dans son arrêt du 8.2.1978 dans l’affaire 69 Z 1/78. Il y a été exposé en détail que le chargement d’un bâtiment qui respecte de tels usages ne peut être incriminé. Si à l’inverse, le chargement dépasse les limites établies par de tels usages, il contrevient à l’article 1.06 du RPNR. Pour le secteur considéré, les règles - échelle de Maxau 180 - et - échelle de Mannheim + 10 - sont en vigueur. Il est incontestable que le chargement du bâtiment n’était conforme avec aucune de ces règles et qu’au contraire il était chargé à un enfoncement plus important que l’enfoncement déterminé par ces usages. Le prévenu invoque à l’inverse un soi-disant usage - échelle de Mannheim + 20 - que son bâtiment aurait respecté et propose de rapporter la preuve par expertise de l’existence d’une telle règle. Le Tribunal pour la Navigation du Rhin a décliné cette requête au motif qu’il possédait lui-même l’expérience nécessaire permettant de répondre à la question soulevée. La Chambre des Appels est également au fait de cette question. Les usages en vigueur sur le Rhin concernant le chargement autorisé des bâtiments lui sont connus. Ceci vaut également pour la règle entrant en considération dans le cas présent de - échelle Maxau 180 - et - échelle Mannheim + 10 -. La Chambre des Appels entend pour la première fois parler, dans l’affaire soumise, de la règle- échelle Mannheim + 20 - sans qu’il soit d’ailleurs indiqué quand et pour quel motif cet usage se serait formé. L’absence de telles indications transforme les conclusions en une simple argumentation de défense, compte tenu de la valeur non contestée jusqu’ici de l’usage - échelle de Mannheim + 10 -, affirmation qu’il n’est point besoin d’approfondir. La remarque du prévenu selon laquelle le niveau des eaux était en baisse au cours de son voyage ne saurait pas davantage le disculper. Au début du voyage déjà, le chargement du bateau n’était pas conforme à la règle - échelle Mannheim + 10 - laquelle ne permettait, d’après la constatation du Tribunal pour la navigation du Rhin, qu’un enfoncement de 2,66 m alors que le bâtiment était chargé à un enfoncement de 2,72 m. Cette différence s’est encore accrue au cours du voyage, au fur et à mesure que le niveau des eaux baissait. Cette circonstance aggrave la responsabilité du prévenu car il aurait dû tenir compte de cette possibilité lors du chargement. En résumé, il est établi que le prévenu a violé les dispositions de l’article l.06 du RPNR.
3. En ce qui concerne la fixation de la peine.
Pour appréciation du montant de la peine à déterminer dans cette limite, les conséquences du fait illicite sont d’importance, dans la mesure où elles étaient prévisibles pour le prévenu. Il n’est pas inhabituel qu’un bâtiment chargé à un trop grand enfoncement s’échoue et constitue par suite un obstacle temporaire pour la navigation. II n’est pas non plus inhabituel qu’un bâtiment se positionne de biais lors d’un échouement et, ce faisant, heurte un bâtiment le croisant. Les deux circonstances se sont produites en l’occurrence et ont eu des conséquences importantes (dommages élevés et forte gêne pour la navigation). La faute du conducteur consistant dans la surcharge intentionnelle de son bâtiment n’est ainsi aucunement mineure car il a négligé les possibles lourdes conséquences de son comportement qu’il ne pouvait ignorer. Néanmoins, compte tenu de la circonstance que l’acte réprimé ne constitue qu’une contravention à une prescription de police, il apparaît à la Chambre des Appels qu’une amende de l.000 DM est appropriée. Cette amende reste dans le cadre de l’article 32 de la Convention révisée pour la navigation du Rhin.
Par ces motifs il est statué:
Sur appel du prévenu, conducteur, le jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Mannheim du 4.2.l980 est infirmé en ce sens qu’une amende de 1000 DM est infligée au conducteur "B" pour contravention à l’article 1.06 du RPNR.
Les 2/3 des frais de la procédure d’appel sont mis à la charge du prévenu. La décision sur les dépens de première instance du Tribunal pour la Navigation du Rhin est confirmée.
Les frais de la procédure sont à liquider par le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Mannheim conformément à l’article 39 de la Convention révisée pour la navigation du Rhin.