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CHAMBRE DES APPELS DE LA COMMISSION CENTRALE POUR LA NAVIGATION DU RHIN
ARRÊT
du 18.10.1978
(rendu en appel d’un jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 4.1,1978 - 3 C 1591/76 -)
EXPOSE DES FAITS:
VU le jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 4,2,1978 non signifié à ce jour déclarant prescrite et rejetant avec les dépens l’action introduite par la demanderesse, visant à obtenir réparation du préjudice subi par elle à la suite des dommages occasionnés le 14.7.1975 par l’automoteur "„O“" à la porte amont du grand sas des écluses de Strasbourg;
VU l’acte d’appel de la demanderesse du 14.3.1978 entré au Tribunal pour la Navigation du Rhin le 14,3197 $ ainsi que le mémoire d’appel du 10.4.1978 déposé au Greffe le 11.4.1978. signifié aux défendeurs le 17.4.78 et leur impartissant un délai de réponse de 4 semaines;
VU le mémoire en réponse du 10.5.1978 des défendeurs et intimés déposé au Greffe du Tribunal pour la Navigation du Rhin le 12.5.l978;
VU le dossier 3 C 1591/76 du Tribunal pour la Navigation du Rhin ainsi que le dossier pénal IE 2120/76 c/ie conducteur "B" qui étaient à la dispositions de la Chambre des Appels;
ATTENDU qu’il n’est pas contesté que le 14 juillet 1975 l’automoteur "Offendorf" appartenant au défendeur cité sous 1) et conduit par le défendeur cité sous 2) a heurté le coté bâbord de la porte amont qu’il a endommagé du grand sas des écluses de Strasbourg dont la demanderesse est concessionnaire;
ATTENDU que le conducteur BENZ a été condamné au pénal par le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg le 15.12.1976 à une amende de 300 frs pour avoir navigué sur le Rhin sans respecter les règles relatives au devoir général de vigilance et pour avoir navigué avec un équipage incomplet ainsi qu’à une amende de 100 frs pour ne pas avoir respecté les règles relatives au passage des écluses;
ATTENDU que la demanderesse a intenté une action à l’encontre du défendeur cité sous 1) au vu du dossier pénal sur la base des dispositions de l’article 7, alinéa 3 de la loi du 15 juin 1895 pour ne pas avoir pris toutes les mesures utiles en vue du remplacement du matelot handicapé ainsi qu’à l’encontre du défendeur cité sous 2) sur la base des articles 7 et 8 de la loi du 15.6.1895;
ATTENDU que le Tribunal pour la navigation du Rhin dans son jugement du 4 janvier 1978 a accueilli le moyen soulevé par les défendeurs et tiré de la prescription de l’action en réparation introduite le 3 décembre 1976 soit plus d’un an après la survenance des faits et postérieurement au jugement pénal prononcé le 15.5.1976 contre le conducteur de l’"„O“" et a déclaré l’ELECTRICITE DE FRANCE irrecevable en son action;
QUE ce faisant le Tribunal de 1ère Instance, après avoir constaté une identité complète entre la faute civile et la faute pénale entraînant une solidarité des prescriptions des actions civile et publique, a entendu faire application de l’article 10 du Code de procédure pénale qui prévoit que"l’action civile ne peut être engagée après l’expiration du délai de prescription de l’action publique";
ATTENDU que dans son mémoire d’appel, la demanderesse soutient, quant à la recevabilité de la demande, que le premier juge a considéré à tort que les fautes civiles reprochées tant au capitaine de l’"„O“" qu’à son conducteur n’étaient pas distinctes de la faute pénale et que, conférant à cette faute pénale un caractère contraventionnel, a cru pouvoir faire application des dispositions de l’article 9 au Code de procédure pénale;
QU ’en effet l’action diligentée par EDF était fondée à titre principal sur des fautes civiles absolument distinctes des fautes nautiques relevées par la brigade de gendarmerie;
QUE ces fautes civiles sont de l’avis de la demanderesse constituées par des manquements graves détachables des fautes nautiques commises tant par l’armateur que par le capitaine du bateau engageant leur responsabilité personnelle, l’armateur pour sa part ne pouvant du fait de sa négligence intéressée, exciper des dispositions relatives à la limitation de la responsabilité conformément à l’article 4 alinéa 3 de la loi du 15 février 1895;
QU’au surplus c’est à tort que le 1er juge a estimé que les fautes civiles reprochées à l’armateur se confondent avec les fautes nautiques commises par le capitaine car la négligence du propriétaire trouve son origine dans son comportement dolosif (avoir négligé de remplacer le matelot) avant même que l’"„O“" ait entrepris le voyage;
ATTENDU que la demanderesse invoque également à titre subsidiaire que les dispositions des articles 117 et 118 relatives à la prescription du Binnenschifffahrtsgesetz ne se trouvent pas écartées par la disposition de l’article 10 du Code de procédure pénale au motif notamment que cette dernière n’était pas d’ordre public, il peut lui être substitué une réglementation spéciale en vertu de l’adage "lex specialis derogat generali";
ATTENDU enfin que la demanderesse prétend que la valeur maximum de l’amende telle que permise par l’article 32 de la Convention de Mannheim est supérieure à la limite contraventionnelle de 2.000 frs et que partant, son action fondée sur un délit se prescrit de toute façon par trois ans;
ATTENDU, quant au fond, que la demanderesse invoquant les fautes personnells lourdes commises par le conducteur et par l’équipage demande la condamnation solidaire des défendeurs cités sous l) et 2) à verser à l’ELECTRICITE DE FRANCE une somme de 801.526,34 frs avec les intérêts à compter du 14 juillet 1975 ainsi qu’à la somme de 10.463frs avec les intérêts légaux à partir du 7 juillet 1976 au titre des frais et honoraires d’experts et leur condamnation en tous frais et dépens de la procédure y compris ceux de la procédure en conservation de preuve 5
ATTENDU que les défendeurs, après avoir demandé à la Chambre des Appels d’examiner la régularité de sa saisine, plus précisément la validité, conformément au droit français, de la signification au tribunal pour la navigation du Rhin de l’acte d’appel daté du 14 mars 1978, font valoir que c’est à bon droit que le premier juge a déclaré prescrite l’action d’ELECTRICITE DE FRANCE;
QU’en effet l’article 10 du Code de procédure pénale qui dispose que l’action civile ne peut être engagée qu’après l’expiration du délai de prescription de l’action publique s’applique à l’ensemble du territoire français et à toutes actions en réparation de dommages consécutifs à une infraction pénale;
QUE les fautes civiles reprochées sont indissociables des infractions reprochées au capitaine "B" (avoir entrepris et poursuivi un voyage avec équipage incomplet, avoir toléré un éclusage sans amarrage correct et avoir heurté la porte de l’écluse), et s’identifient avec les infractions réprimées par les articles 1.04, 1.08, 6.24 à 6.29 du RPNR;
QUE par ailleurs la faute personnelle non démontrée et formellement contestée de l’armateur se trouvait également couverte par l’articl 1.08 du RPNR;
ATTENDU d’autre part que les défendeurs allèguent que le fait que l’armateur n’ait pas fait l’objet ni de poursuites ni de condamnations pénales ne modifierait pas le délai de prescription de l’action publique en vertu de l’article 10 du Code de procédure pénale;
QUANT au fond, ils soutiennent que les infractions relevées à l’encontre du conducteur de l’"„O“" (dépassement des limites autorisées sur le bajoyer, navigation avec un équipage incomplet et défaut de vigilance dans l’amarrage) ne sont pas la cause de l’accident et que la responsabilité de ce dernier incombe à la seule faute de l’éclusier qui n’aurait pas, comme il l’aurait dû, vérifié la position exacte des bâtiments dans le sas avant de donner l’impulsion d’éclusage.
ATTENDU qu’en conséquence ils concluent:
- Déclarer irrecevable l’appel d’ELECTRICITE DE FRANCE;
- Subsidiairement confirmer le jugement entrepris;
- Très subsidiairement, renvoyer l’affaire en 1ère Instance;
- Condamner ELECTRICITE DE FRANCE à verser aux intimés la somme de 30.000 francs en vertu de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens et frais des instances;
En tout état de cause, en cas de condamnation éventuelle prononcée à leur encontre, ils invoquent le bénéfice de la limitation de leur responsabilité à 157.000 DM, valeur de l’„O“ au jour de l’accident.
EXPOSE DES MOTIFS:
Ouir Maître BOLLECKER et Maître GARNQN en leur plaidoire,
Quant à la recevabilité de l’appel
ATTENDU que l’article 37 de la Convention révisée pour la Navigation du Rhin stipule que "l’appel sera signifié au Tribunal qui aura rendu le jugement de 1ère Instance" et que "la signification au tribunal aura lieu d’après le mode indiqué par les lois du pays";
QUE l’article 651 du nouveau Code de procédure civile invoqué par les défendeurs comme exigeant, sous peine de nullité, la signification de l’acte d’appel au Tribunal pour la navigation du Rhin a une toute autre portée et constitue d’ailleurs simplement une disposition intéressant les notifications en général;
QUE s’applique plus particulièrement en l’espèce notamment l’article 932 du nouveau Code de procédure civile lequel est entré en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, Haut-Rhin et de la Moselle le 1er janvier 1977 qui prévoit que "l’appel est formé par déclaration que la partie ou tout mandataire fait ou adresse par pli recommandé, au secrétariat de la juridiction qui a rendu le jugement";
ATTENDU que la déclaration d’appel du jugement entrepris, jugement non signifié, a été régulièrement déposée au Tribunal pour la navigation du Rhin le 14 mars 1978;
La Chambre des Appels reçoit l’appel régulier en la forme.
Quant à la fin de non recevoir tirée de la prescription
ATTENDU que les faits litigieux se sont produits le 14.7.1975 et qu’il n’est pas contesté que la demanderesse a introduit une action en réparation à l’encontre des défendeurs cités sous 1) et 2) le 3 décembre 1976;
ATTENDU que l’article de la loi sur les rapports de droit privé dans la navigation intérieure (Binnenschiffahrtsgesetz) du 15 juin 1895 introduite en France par l’article 5 de la loi du 1er juin 1924 stipule que "la prescription court à partir de la fin de l’année ou la créance est devenue exigible";
QU’en conséquence l’action de l’ELECTRICITE DE FRANCE ne serait prescrite que le 31 décembre 1976 et qu’ainsi la demande déposée le 3 décembre 1976 l’a encore été dans les délais;
ATTENDU que les dispositions ci-dessus du Binnenschiffahrtsgesetz sont en contradiction avec la règle du CPP;
QU’en présence de deux normes incompatibles, doit s’appliquer la norme spéciale pertinente et non la norme générale applicable en vertu du droit commun;
QUE l’article 118 du Binnenschifffahrtsgesetz du 15 juin 1895 constitue bien la disposition spéciale applicable en France en matière de navigation rhénane;
QU’en conséquence c’est à tort que le juge de 1ère Instance a admis dans le présent litige que conformément aux dispositions de l’article 10 du CPP, toutes les fois que le fait dommageable constitue une infraction pénale, l’action civile, même exercé séparément de l’action publique, est éteinte par la prescription de l’action publique et a opposé à la demanderesse une fin de non recevoir (voir également C.Cass. chambre mixte: Mutuelle d’assurances aériennes c/ Consorts Geny et veuve Pezous 24 février 1978; Gazette du Palais du 28/29 juin 1978);
ATTENDU que dès lors il n’y a pas lieu de s’interroger sur l’existence ou non d’une identité complète entre les fautes civiles et les fautes pénales qui entraînerait solidarité des prescriptions des actions civiles et pénales;
ATTENDU que la Chambre des Appels ne trouve pas opportun d’évoquer en l’espèce l’affaire sur le fond en vertu de l’article 24 § 3 du Règlement de procédure de la Chambre des Appels.
La Chambre des Appels,
- reçoit l’appel de la demanderesse;
- le déclare fondé et annule le jugement du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 4 janvier 1978;
- Renvoie l’affaire au 1er juge pour statuer sur le fond;
- Dit que les frais seront liquidés conformément à l’article 39 de la Convention Révisée pour la Navigation du Rhin par le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg.