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210 C - 3/88 - Berufungskammer der Zentralkommission (Berufungsinstanz Rheinschiffahrt)
Decision Date: 17.03.1987
File Reference: 210 C - 3/88
Decision Type: Urteil
Language: French
Court: Berufungskammer der Zentralkommission Straßburg
Department: Berufungsinstanz Rheinschiffahrt

CHAMBRE DES APPELS DE LA COMMISSION CENTRALE POUR LA NAVIGATION  DU  RHIN

ARRÊT

(rendu en appel d’une ordonnance du Président du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg du 17 mars 1987, non signifiée - JR  1/87 -)

FAITS ET PROCEDURE:

1. Le 11 février 1987, vers 16 heures, s’est produit un accident sur le Rhin, dans le secteur compris entre les P.K. 340.000 et 340.400.

L’automoteur "W" et la barge "W 1", venant de la darse de Dalhunden et circulant en convoi, naviguait à l’approche du pont flottant militaire de Seltz-Plittersdorf situé au droit du P.K. 340.346. Après un échouage momentané, le convoi pivotait sur le point d’échouage pour se retrouver en biais, cap à l’amont, par le travers du chenal, dérivant vers l’aval. Malgré le mouillage des trois ancres, la puissance limitée du moteur du "W" n’a pas permis au convoi d’étaler la vitesse du courant, de sorte que le convoi a continué à dériver vers l’aval. Il a tout d’abord abordé le pétrolier "P", ce qui a modifié la trajectoire de dérive, puis le convoi est entré en collision avec le bac à traille de Seltz-Plittersdorf qui se trouvait amarré sur l’amorce rive droite du pont flottant.

2. Selon acte introductif d’instance du 16 mars 1987, l’agent judiciaire du TP a cité devant le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg la société de droit allemand RWReederei, propriétaire de l’automoteur "W" et de la barge "W 1", en exposant que la collision avait endommagé très sérieusement l’installation du bac à traille de Seltz-Plittersdorf et qu’il y avait notamment urgence à enlever la tête du pont qui avait été drossée sur la B, menaçant de couler à la moindre crue du fleuve, et constituant ainsi un danger certain pour la navigation. Cet enlèvement ne pouvant avoir lieu avant expertise, l’agent judiciaire du TRESOR a demandé au Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg de:

ordonner une expertise aux fins de:

- établir et décrire de façon détaillée le déroulement de l’accident du 11 février 1987 au cours duquel l’automoteur "W" et la barge "W 1", qui lui était accouplée, ont heurté le bac à traille de Seltz-Plittersdorf;

- décrire les fautes à l’origine de l’accident;

- décrire les dommages subis à l’installation du bac à traille de Seltz-Plittersdorf, à savoir la portière bac elle-même, le dispositif de traille et l’amorce rive droite du pont flottant militaire ; décrire les remèdes nécessaires et les réparations à entreprendre ; évaluer le coût de ces réparations, le montant des moins-values éventuelles, la durée de l’immobilisation du bac et, d’une façon générale, les conséquences pécuniaires en résultant;

tatuer comme de droit sur les frais.

3. La partie défenderesse a conclu à l’incompétence territoriale du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg au motif que l’accident s’était produit en Allemagne. Pour le cas où le Tribunal se serait néanmoins estimé compétent et n’aurait pas déclaré la demande irrecevable ou mal fondée s’agissant d’une demande de mesures conservatoires, la partie défenderesse a sollicité la mise en cause de la compagnie P et de Monsieur A, afin que l’expertise leur soit opposable. Elle a demandé également que l’expert ait mission de recueillir toutes informations relatives au niveau du fleuve et à la profondeur avant et
lors de la collision.
 
4. Dans son ordonnance du 17 mars 1987, le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg s’est déclaré compétent territorialement pour le motif que l’accident s’est déroulé sur la partie du Rhin sous souveraineté française, ceci résultant de l’ensemble des éléments de la cause et notamment du rapport dressé par Monsieur R, ingénieur des T.P.E. à la suite de l’accident.

Le Tribunal a ajouté que la défenderesse contestait ce point mais qu’elle ne fournissait aucun élément de preuve établissant que l’une quelconque des phases de l’accident se serait déroulée sur le territoire allemand.

En outre, le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg s’est basé sur l’article 35 bis de la Convention Révisée de Mannheim (introduite par la Convention de Strasbourg du 20 novembre 1963) pour déclarer que cet article justifie également la compétence du Tribunal pour" la Navigation du Rhin de Strasbourg, tribunal premier saisi, même si les faits dommageables s’étaient produits sur le territoire des deux Etats ou s’il était impossible de déterminer sur quel territoire ils se sont produits.

Le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a dès lors conclu au rejet de l’exception de l’incompétence territoriale soulevée par la défenderesse.

5. Le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a ensuite déclaré recevable la demande en désignation d’expert pour le motif que les Tribunaux pour la Navigation du Rhin sont tenus d’appliquer les règles de procédure des Etats dans lesquels ils sont implantés et que l’article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile français dispose que lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées sur requête ou en référé. Le Tribunal a constaté que cette disposition du droit interne français n’est contraire à aucun article de la Convention Révisée de Mannheim et doit donc recevoir application devant le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg.

6. Le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a ensuite admis le bien fondé de la requête et a désigné Monsieur B, en constatant qu’il n’est pas sérieusement contesté par la défenderesse qu’il y avait urgence à faire effectuer une expertise afin de permettre d’une part de supprimer les éléments endommagés constituant un danger pour la navigation, d’autre part d’entreprendre rapidement les travaux de remise en état du bac dont la fermeture provisoire causait un trouble considérable à l’ensemble de la région de Seltz.

7. Enfin, le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a autorisé la partie défenderesse à faire citer le propriétaire du "P" quis ’ était trouvé impliqué dans l’accident ainsi que son capitaine pour qu’ils soient mis en cause et qu’ainsi l’expertise leur soit opposable. La réduction du délai de citation a été admise étant donné l’urgence de la mise en cause.

8. Par exploit du 20 mars 1987 la Société RW Reederei a cité la Compagnie P AG et Monsieur Max A capitaine du "P" pour l’audience du 31 mars 1987 à 11.30 h. du Président du Tribunal pour la Navigation du Rhin aux fins de leur voir déclarer communes les mesures d’instruction ordonnées le 17 mars 1987.
 
9. Par conclusion du 31 mars 1987, la Compagnie P et Monsieur Max A ont conclu à l’incompétence territoriale du Tribunal pour la’ Navigation du Rhin de Strasbourg, l’événement litigieux s’étant produit sur le territoire de la République Fédérale allemande et la frontière entre la France et l’Allemagne étant constituée par la ligne des sondes les plus profondes. Le fait que ce n’était pas la brigade fluviale française qui était intervenue pour faire les constatations mais la WSP allemande qui avait procédé au constat était considéré comme une preuve que les faits s’étaient produits en Allemagne de sorte que d’après les parties P et A le litige devait ressortir du Tribunal pour la Navigation du Rhin à Kehl.

D’autre part, ces parties concluaient à l’irrecevabilité, en tout cas au non fondement de la demande, la détermination des fautes ayant présidé à l’accident appartenant non pas à un expert mais au Tribunal. D’autre part, il faut relever qu’il était habituel en la matière que pour l’évaluation des dommages, chaque partie désigne son expert et que ceux-ci procèdent contradictoirement au relevé des dommages.

  1. 10. Par ordonnance du 1er avril 1987, le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a déclaré recevable l’appel en intervention forcée dirigé contre la Compagnie P AG et Monsieur Max A et déclaré l’ordonnance rendue le 17 mars 1987 commune à la Compagnie P AG et Monsieur Max A. Dans cette ordonnance, le Tribunal pour la Navigation du Rhin a rejeté l’exception de la compétence territoriale pour le motif que cette exception avait été rejetée par l’ordonnance du 17 mars 1987. D’autre part, l’appel en intervention forcée fut déclaré recevable sans autre motif.

11. Un acte d’appel a été déposé au Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg le 21 avril 1987 par la Société RW Reederei et signifié aux conseils des parties par acte de signification du 24 avril 1987. Par décision du 24 avril 1987 le Président du Tribunal pour la Navigation du Rhin a invité 1 ’ appelante à déposer le mémoire ampliatif.

12. Par mémoire ampliatif du 19 mai 1987, la Société RW Reederei maintient l’argument d’incompétence territoriale, le heurt, cause du dommage à l’encontre des éléments du pont, rive droite du Rhin, étant situé en territoire allemand. Cependant, durant les débats du 9 mai 1988, le Conseil de l’appelante W a expressément admis la compétence territoriale du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg. D’autre part, l’incompétence matérielle du Tribunal pour la Navigation du Rhin est soulignée au regard de 1 ’ article 34 de la Convention de Mannheim qui n’attribue compétence au Tribunal pour la Navigation du Rhin que pour se prononcer sommairement sur les contestations relatives aux dommages causés par les bateliers pendant le voyage ou en abordant, mais qui ne confère cependant pas à la juridiction rhénane compétence pour rendre des mesures provisoires destinées à conserver la preuve dans l’éventualité de contestations ultérieures contre les bateliers.
 
Par ailleurs, l’article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile qui permet avant tout procès d’établir des preuves, constitue une disposition procédurale interne qui ne permet pas d’étendre la compétence d’ordre public des Tribunaux pour la Navigation du Rhin. La compétence de ces Tribunaux est limitée au jugement sommaire d’une contestation déjà née relative à un dommage causé par un batelier à l’exclusion de l’établissement de faits, dans l’attente d’une contestation judiciaire éventuelle et future. Faute de dispositions expresses de la Convention de Mannheim, le Tribunal qui n’était pas saisi par l’agent judiciaire du TP d’une demande en réparation du dommage prétendument subi du fait du couple "W et 17", ne pouvait ordonner une mesure destinée à établir ou à vérifier l’existence d’une éventuelle contestation relative à un dommage causé par un batelier.

Enfin, l’appelante estime qu’il n’est pas équitable que la Société RWAIBEL Reederei supporte les frais, démarches et débours de la procédure de 5.000 F et demande à la Chambre des Appels de la Commission Centrale du Rhin de condamner 1 ’ agent judiciaire du TP au paiement d’une somme de 5.000 F au titre de l’article 700, avec intérêts de droit, et de condamner l’agent judiciaire du TP aux frais et dépens des deux instances.

13. Par décision du 27 mai 1987 le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg a fixé à l’intimée un délai de quatre semaines pour répondre au mémoire ampliatif du 19 mai 1987.

14. Par mémoire du 27 mai 1987 l’agent judiciaire du TP commence par souligner que l’expert avait immédiatement commencé les opérations d’expertise et qu’elles se poursuivaient en ce moment.

En ce qui concerne la compétence territoriale, l’agent judiciaire du TP répète qu’il est certain que l’accident s’est produit sur la partie du Rhin sous souveraineté française, et que de toute façon, en vertu de l’article 35 bis de la Convention Révisée de Mannheim, introduit par la Convention de Strasbourg du 20 novembre 1963, le Tribunal saisi en premier est compétent ce qui est bien le cas en l’occurrence du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg.

Concernant la compétence matérielle, l’agent judiciaire du TP s’est déclaré d’autant plus surpris que le conseil de la Société RWAIBEL Reederei avait déjà lui-même fait usage d’une procédure analogue, notamment par requête du 10 février 1977, concluant à une enquête par audition de témoins aux fins de conservation des preuves en raison de l’urgence, enquête qui avait été effectivement ordonnée par le Tribunal pour la Navigation du Rhin par décision du 11 février 1977. L’agent judiciaire du TP souligne qu’aucun texte n’interdit au Tribunal pour la Navigation du Rhin d’ordonner des enquêtes ou des expertises en vue de la conservation des preuves en appliquant par analogie les dispositions du Code de Procédure français, à savoir l’article 145 ou les articles 484 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile.
 
L’article 36 de la Convention Révisée pour la Navigation du Rhin signée à Mannheim le 17 octobre 1868 dispose simplement que "la procédure des Tribunaux pour la Navigation du Rhin sera la plus simple et la plus prompte possible" et qu’il est de jurisprudence constante que les Tribunaux pour la navigation du Rhin procèdent en appliquant par analogie les dispositions de procédure du droit interne, à savoir donc en l’occurrence celles du Code de Procédure français, de sorte que le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg pouvait donc parfaitement, en raison de l’urgence, ordonner à titre de conservation les preuves, une expertise telle qu’elle avait été requise par Monsieur l’agent judiciaire du TP.

En outre, il est souligné qu’il ne serait nullement inéquitable de laisser à la charge de l’appelante les frais irrépétibles de la procédure de sorte que sa demande de condamnation du défendeur au paiement d’une indemnité de 5.000 F doit être déboutée.

Enfin, l’agent judiciaire du TP relève qu’en réclamant l’indemnité l’appelant fait lui aussi application des dispositions du Code de Procédure Civile français, à savoir l’article 700 N.C.P.C., alors qu’aucun texte de la Convention de Mannheim de 1868 ni les textes ultérieurement insérés dans la Convention de Strasbourg du 20 novembre 1963 ne contiennent aucune disposition à ce sujet.

L’agent judiciaire du TP conclut dès lors pour toutes ces raisons que l’appel est manifestement mal fondé et doit être débouté.

Par mémoire du 6 mai 1988 les appelés en cause, la Compagnie P AG et Max A concluent que la décision de la Chambre leur soit déclarée commune, avec toutes les conséquences de droit et que la partie succombant en la procédure d’appel, c’est-à-dire l’agent judiciaire du TRESOR, ou Waibel Reederei, soit condamnée à payer à la partie appelée en la procédure, une indemnité de 3.000 francs par application de l’article 700 du N.C.P.C ainsi qu’à tous les frais et dépens nés de la procédure.

EXPOSE DES MOTIFS:

Attendu que l’appel interjeté par la société RWReederei est régulier en la forme et conforme aux prescriptions de la Convention Révisée de Mannheim;

Attendu que les deux parties sont d’accord sur la compétence territoriale du Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg;

Attendu que les Tribunaux pour la Navigation du Rhin appliquent les règles de procédure des Etats dans lesquels ils sont implantés;

Que l’article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile français dispose que lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instructions légalement admissibles peuvent être ordonnées sur requête ou en référé;
 
que cette disposition du droit de procédure français qui n’est contraire à aucun article de la Convention Révisée de Mannheim, doit recevoir application devant le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg, de sorte que la requête en expertise présentée par l’agent judiciaire du TP était recevable;
Attendu que le bien fondé de la mesure d’expertise n’a pas été sérieusement contestée;

qu’il y avait urgence à faire effectuer l’expertise afin de permettre de supprimer les éléments endommagés constituant un danger pour la navigation et d’autre part d’entreprendre rapidement les travaux de remise en état du bac dont la fermeture provisoire causait un trouble considérable à l’ensemble de la région de Seltz;
Attendu que s’il y a lieu de faire droit à la requête de la Compagnie P AG et Monsieur Max A demandant à ce que la décision de la Chambre des Appels lui soit déclarée commune, la Chambre estime qu’en l’espèce l’équité n’impose pas le paiement à l’appelé en cause d’une indemnité en application de 1 ’ article 700 du nouveau Code de Procédure Civil.

PAR CES MOTIFS LA CHAMBRE DES APPELS

Reçoit en la forme l’appel de la société RW Reederei.

Au fond le déclare non fondé, en déboute l’appelante.

Déclare la décision de la Chambre commune à la Compagnie Panthéon AG et Max A.

Condamne l’appelante aux frais et dépens de la procédure d’appel.

Dit que les frais sont à liquider conformément à l’article 39 de la Convention Révisée pour la Navigation du Rhin, par le Tribunal pour la Navigation du Rhin de Strasbourg.